DISCOURS 11 AVRIL 2014 – MONT VALÉRIEN
Georges Duffau-Epstein
Mesdames, Messieurs, Chers amis
Ce n’est pas sans émotion que je m’adresse à vous, ici, dans cette clairière, sous ces grands arbres, témoins silencieux du courage des fusillés du 11 avril 1944. Parmi eux il y avait mon père, Joseph Epstein (colonel Gilles dans la Résistance). Il avait 33 ans. Je suis venu ici souvent, étant enfant, avec ma mère, puis lors de nombreuses cérémonies. Enfin j’accompagne sur ce lieu de nombreux groupes d’adultes ou d’écoliers, collégiens et lycéens afin de transmettre l’histoire de ces résistants et faire connaitre les valeurs pour lesquelles ils se battus avec tant de courage. A chaque fois ma gorge se serre et je ne peux oublier que mon père a vécu, ici, ses derniers instants.
En ce 11 avril 1944, il y a 70 ans, 22 patriotes sont tombés en ce lieu. Leurs noms figurent sur le monument du souvenir que l’on doit au talent de Pascal Convert. Erigée à l’initiative de Robert Badinter, la « Cloche » comme tout le monde la nomme a pour tout décor les identités des 1008 Résistants et Otages identifiés qui ont été exécutés par les nazis dans ce fort.
Ils combattaient au sein de la Résistance. Ils avaient choisi la voie difficile du combat contre l’occupant et le gouvernement de Pétain. Ils défendaient des valeurs universelles : la liberté, le progrès social, la lutte contre tous les racismes (antisémitisme, racisme envers toutes les races, racisme envers les tsiganes, rejet des homosexuels ou des handicapés). La démocratie était leur objectif. Ils étaient très nombreux à appartenir aux Francs Tireurs et Partisans Français mais aussi à l’ensemble des autres mouvements de Résistance
Ils ont été fusillés ici et la mort n’a pas fait de différence entre eux. Quelles que soient leurs origines sociales, leurs engagements politiques (communistes, socialistes, gaullistes, sans appartenance politique), leurs engagements syndicaux, leur religion quand ils en avaient une (catholiques, protestants, juifs, musulmans), l’amour de leur pays était le plus fort. Ce pays, la France, ils y étaient nés ou ils l’avaient choisie comme terre d’accueil comme mon père, polonais de naissance. Il est d’ailleurs difficile de citer toutes les pays qui les ont vu naitre tant ils sont nombreux. Pratiquement tous les pays d’Europe sont représentés y compris l’Allemagne car des antifascistes d’origine allemandes combattaient dans la Résistance. Souvenons nous qu’un des plus jeune fusillé dans cette clairière se nommait Karl Shoonar. Il avait 17ans et son père, communiste allemand, était mort en 1938 dans un camp de concentration nazi. Pour certains le combat contre le nazisme avait débuté dans leur pays d’origine et s’était poursuivi dans les rangs des Brigades Internationales qui se battaient, contre Franco, au côté des républicains espagnols.
Ceux à qui nous rendons hommage aujourd’hui, sont tombés le 11 avril 1944. La victoire était proche mais la répression continuait à s’abattre sur la Résistance. Dans leur grande majorité ils avaient été arrêtés par la police française aux ordres du gouvernement collaborateur de Vichy. Certains avaient été jugés par des tribunaux allemands et ce sont les soldats de l’armée d’occupation qui les fusillaient.
Ils n’ont pas vu la fin du conflit, mais ce sont eux les vainqueurs. IIs se sont dressés contre la barbarie parmi les premiers, ils ont ainsi ouverts le chemin qui allait conduire à la libération après le débarquement des troupes alliées en Normandie, le 6 juin 1944.
Ces combattants de l’ombre ne se contentaient pas de la lutte, ils avaient une conscience aigue des réalités et de la nécessité de construire une perspective. Sous l’égide de Jean Moulin, représentant du général De Gaulle en territoire occupé, ils avaient su s’entendre au sein du Conseil National de la Résistance qui réunissait tous les partis politiques qui résistaient, les syndicats et les mouvements de Résistance. Ils ont uni leurs efforts pour construire la France de demain. Cet organisme, malgré les difficultés de la clandestinité, adopta un programme, révolutionnaire pour l’époque, qui fut mis en œuvre par le gouvernement dirigé par le Général de Gaulle à la Libération. Communistes, socialistes et Démocrates chrétiens ont commencé à bâtir ensemble ce qui est encore le fondement de la société dans laquelle nous vivons. N’oublions pas que la Sécurité Sociale, la Retraite par répartition, la Liberté de la Presse, le vote des femmes ont étés mis en place par ce gouvernement d’union.
Dans cette clairière je repense à l’ultime message de mon père. Dans sa dernière lettre, écrite, trois heures avant de mourir, il me disait « je tomberai courageusement mon petit Microbe chéri pour ton bonheur, le bonheur de tous les enfants et de toutes les mamans ». Et il ajoutait encore, en ultime message dans la marge : « Vive la liberté, vive la France ».
Ces simples paroles résument bien le sens de leur combat à tous.
Ils ont donné leur vie pour que nous vivions dans un pays libre et démocratique. Il est de notre devoir de continuer leur combat parce que les valeurs qu’ils défendaient sont toujours des valeurs actuelles.
Face à ceux qui veulent récrire l’histoire nous affirmons que seules ces idées nous permettront de continuer à vivre dans un pays ou règne la liberté, l’égalité et la fraternité.