Allocutions

Allocution de Max Weinstein

Hôtel de ville de Paris 23 Mars 2010

DONNER SA VERITABLE PLACE A LA RESISTANCE DES JUIFS DE LA M.O.I.

Il y a, de ce point de vue, beaucoup à faire, écrire et dire, tant la présence dans la Résistance des juifs issus de la branche juive de la M.O.I. d’avant guerre a été largement occultée. Y compris par un certain nombre d’historiens qui se sont évertués, s’ils y faisaient allusion, à réduire à peu de choses ce qu’elle fut réellement.
Alors, grâce au Patriote-Résistant, l’occasion est offerte de rappeler à ses lecteurs ce que fut en réalité l’épopée des ces organisations juives.
Lorsque le gouvernement de l’époque prononça en 1939 la dissolution du Parti Communiste Français, les organisations qui y étaient de près ou de loin rattachées furent également contraintes à la clandestinité, à l’illégalité.
Ainsi en fut-il de la M.O.I. (Main d’œuvre immigrée), créée dans le courant des années 1920 par le PCF pour permettre aux militants de différentes nationalités présents en France, de se regrouper dans ce que l’on a appelé les « Groupes de langue » au sein de la M.O.I. Il s’y trouvait les groupes de langue Espagnol, Italien, Grec, Arménien, Polonais, etc. ainsi que ce groupe un peu particulier constitué de juifs originaires de l’est européen, polonais, hongrois, lituaniens, etc. dont le dénominateur commun était la langue : le yiddish.
D’autres organisations existantes à l’époque furent également contraintes à l’illégalité, la F.S.J.F (Fédération des Sociétés juives de France) laquelle regroupait des originaires de ces pays en sociétés de villages ou de villes, le Yask organisation sportive, ainsi que d’autres associations de type culturel, groupe théâtral, chorale, ou syndical, comme le syndicat C.G.T. des casquettiers.
Dans ces milieux de l’immigration juive récente de langue yiddish, celle qui avait suivi la fin de la première guerre mondiale, il y avait une vie culturelle, politique, syndicale et sportive intense.
Il existait alors un journal quotidien de langue yiddish, la « Naïe Press » au tirage important, qui rayonnait alors dans toute l’Europe de l’ouest, dont le mensuel actuel « La Presse Nouvelle magazine » est l’héritier spirituel.
C’est dans ces conditions que les dirigeants de la branche juive de la M.O.I. réagirent. A commencer par la création du mouvement « Solidarité » qui, comme son nom l’indique, pratiquait la solidarité active en direction des familles juives en difficulté. Solidarité matérielle, mais aussi solidarité d’alerte face aux dangers qui menaçaient les juifs.
Il faut savoir que dès le début de ces évènements, les dirigeants de la branche juive de la MOI, au moment du pacte germano-soviétique, ne s’étaient pas laissé écarter de l’objectif principal et essentiel selon eux : la lutte contre le danger fasciste nazi. En témoigne un éditorial prémonitoire d’Adam Rayski dans la Naïe Press avant son interdiction, rappelant que le danger essentiel pour les juifs était l’hitlérisme.
Les juifs de la branche juive de la M.O.I. avaient plus de raisons que les autres groupes de langue de s’organiser et d’agir sans attendre. Ils étaient les plus exposés avec l’ensemble des juifs vivant en France, en raison des persécutions antisémites des nazis et de l’antisémitisme propagé par le gouvernement installé à Vichy, dirigé par le maréchal Pétain qui avait fait « don de sa personne à la France », dès l’automne de 1940. Même et y compris si tous les juifs ne se sentaient pas directement concernés, ceux des familles complètement intégrées dans la société française de longue date par exemple. Cela n’empêchera pas le régime de Vichy, comme complice des nazis, de leur faire subir le sort qu’ils réservaient aux juifs, à tous les juifs qui tombaient entre leurs mains.
Le mouvement « Solidarité », semi-clandestin puis entièrement clandestin assez rapidement a poursuivi ses activités, surtout en région parisienne, lieu d’une grande concentration de familles juives jusque dans le courant de l’année 1942, également en province, tout particulièrement à Lyon, où il s’était baptisé Secours Populaire pendant un temps.
Avertis de la préparation de la grande rafle du « Vel d’hiv » de juillet 1942, les dirigeants multiplièrent les activités pour mettre en garde la population juive des quartiers populaires de Paris et lui demander de se mettre à l’abri, avec des tracts, des visites et autres initiatives. On sait aujourd’hui ce qu’il en fut.
Pour des raisons de sécurité, les dirigeants de « Solidarité » se replièrent sur Lyon qui devint le centre de ses activités.
Malgré la situation de clandestinité, les responsables de la branche juive de la M.O.I. sont restés en relations avec les responsables généraux de la M.O.I. clandestine, toutes sections de langues confondues, elle-même en relation avec la direction clandestine du P.C.F., en l’occurrence, Jacques Duclos. Les relations étaient relativement difficiles en raison de cette situation et parfois assez longues pour avoir le contact, cela se comprend aisément.
Toujours est-il que, sur recommandation de la direction clandestine générale de la M.O.I., la décision a été prise, en raison de l’évolution de la situation en général et l’évolution de la guerre à l’est de l’Europe, de transformer le mouvement clandestin « Solidarité » en une série de mouvements destinés à rassembler le plus grand nombre possible de juifs pour développer la lutte active contre l’occupant et ses alliés, ce qu’on appelait alors les organisations de masse.
Il faut savoir cependant que, sans attendre la constitution de telles organisations, des activités de résistance s’étaient développées dès l’entrée des armées nazies en France, sous des formes diverses. Les jeunes communistes juifs de Paris s’étaient engagés dans ces actions dès le mois d’octobre 1940. Ils en payèrent le prix fort. Des plaques fleurissent sur un certain nombre d’immeubles parisiens qui en rappellent le sacrifice. C’est sur ce terreau d’activités que, tout naturellement, les décisions furent prises de diversifier, d’intensifier et de multiplier les activités.
Il y eut comme chacun sait les F.T.P. de la M.O.I. qui s’illustrèrent par leur audace et leur combativité, leurs succès, et leurs pertes aussi. Dès l’abord, ils furent surtout constitués de jeunes juifs auxquels des combattants d’autres nationalités se joignirent au fil des mois et des années : le groupe Manouchian à Paris, Carmagnole à Lyon et Liberté à Grenoble, la 35°brigade de Marcel Langer à Toulouse et d’autres, à Marseille et ailleurs. Chacun se souvient de la célèbre Affiche Rouge…
Et il y eut parallèlement, c’est très important de le savoir, les mouvements issus directement de « Solidarité » : l’U.J.R.E., Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide, organisation mère, qui créa rapidement ses propres Groupes de Combat ; l’U.J.J., Union de la Jeunesse Juive, laquelle, à l’image de son aînée, initia ses Groupes de Combat ; l’U.F.J., Union des Femmes Juives plus particulièrement chargée du sauvetage des enfants et le M.C.R., Mouvement contre le Racisme devenu rapidement M.N.C.R., Mouvement National contre le Racisme.
Ce dernier mouvement deviendra en 1947 le M.R.A.P., créé à l’initiative de l’U.J.R.E. qui lui offrit son journal issu de la clandestinité « Droit et Liberté ».
Ce sont surtout ces mouvements de résistance qui ont été et sont victimes de l’ostracisme auquel il est fait état ci-dessus. Le vocable FTP-MOI en a servi de prétexte. Cela évitait de rendre leur place dans l’ensemble de la Résistance à ces mouvements, composés essentiellement de personnes qui avaient fait de la France leur seconde patrie après avoir fui pogromes et persécutions. Des gens pour qui la France était la patrie des droits de l’homme.
Il est intéressant de noter la spécificité de ce que fut la résistance des juifs communistes. S’il est vrai que la direction de la branche juive de la MOI clandestine se replia à Lyon, il n’en reste pas moins qu’elle était la direction nationale du mouvement dont il existait des ramifications à travers le pays, en zone nord comme en zone sud. Mais sa présence en zone sud va accélérer le développement de l’organisation et ses activités résistantes. S’il existait un fort noyau en zone nord, plus particulièrement à Paris et ses environs, en raison de la présence d’une grande concentration de familles juives de langue yiddish, les mouvements se ramifièrent rapidement dans les principales villes de la zone sud, surtout dans les villes où existaient des communautés de langue yiddish : Lyon, Grenoble, Megève, Limoges, Périgueux, Toulouse, Marseille, Avignon, Nice, etc.
Une presse clandestine active et diversifiée a vu le jour, aussi bien dans la zone nord que dans celle du sud :
« Unzer Wort » en yiddish parut à 36 reprises de décembre 1940 à décembre 1941 ; « Notre Voix » organe de la section juive de la MOI, 76 parutions de l’été 1942 à juillet 1944 ;
« Notre Parole » organe de la section juive de la MOI, quatre numéros connus de juin 1941 à Mars 1943 ;
« Droit et Liberté » organe de l’UJRE zone sud parut 9 fois de Janvier à juillet 1944 ; « En avant » organe des jeunes communistes juifs parut 6 fois du début 1943 à Juin 1943 ;
« Fraternité », organe du MNCR zone nord, 26 parutions de l’été 1942 à août 1944 ; « Lumières », organe des intellectuels du MNCR, quatre parutions du printemps à août 1944 ;
« J’accuse », organe du MNCR zone nord, parut à 22 reprises d’octobre 1942 à août 1944 ;
« Jeune Combat », organe de l’U.J.J. zone sud, 22 parutions entre mai 1943 et août 1944 ;
« Clarté », organe des jeunes du MNCR parut 3 fois à partir d’avril 1944 ;
« Le combat médical » organe des médecins antiracistes puis organe du MNCR, parut 4 fois de mars à août 1944.
Il y eut également le bulletin de l’UFJ (Union des femmes juives) de la zone sud, l’édition de papillons en allemand destinés aux soldats allemands au titre du TA (Travail Allemand), ainsi qu’un grand nombre de tracts et appels destinés principalement aux familles juives, mais pas seulement.
C’est considérable. Bien peu de mouvements de Résistance peuvent se glorifier d’un tel bilan éditorial.
On peut ainsi mesurer, par la seule existence de la presse clandestine initiée par les organisations issues de la branche juive de langue yiddish de la MOI d’avant-guerre, et du mouvement « Solidarité » qui lui a succédé, l’importance et l’efficacité des mesures prises à l’automne 1942 visant à la création de cet ensemble d’organisations clandestines.
De nombreux juifs, communistes ou non, bravant les difficultés de l’heure, ont rejoint ces organisations. Il y en eut de plus en plus au fur et à mesure que les mouvements se déployaient à travers le pays et que la guerre évoluait. Ils et elles furent des milliers à s’impliquer et à prendre part à la lutte et aux actions contre l’occupant et ses affidés. En particulier dans la région parisienne avec des groupes organisés dirigés depuis Lyon où se trouvait alors la direction de l’UJRE, dans Lyon et ses alentours et les autres villes de la zone sud.
Dans ces conditions, comment comprendre le silence assourdissant qui a entouré la réalité de la résistance de ces juifs de la MOI, autre que celle des FTP de cette même MOI ?
On ne peut invoquer l’ignorance, encore que… Le plus souvent, semble-t-il, c’était la volonté de minimiser le rôle des communistes en général, sinon de l’ignorer, qui anime et animait un certain nombre de personnes, pour des raisons politiques, mais pas seulement. C’était aussi pour donner le beau rôle, parfois bien mérité certes, à d’autres forces qui s’étaient impliquées dans la Résistance et éviter de reconnaître sous des prétextes divers, ce qu’a eu de décisif et d’important la lutte des communistes en général, ceux issus de la MOI en particulier dans la Résistance intérieure. Sans négliger pour autant les diverses autres formations, groupes et autres réseaux qui ont lutté pour la libération de la patrie.
65 ans après la fin de ce conflit dramatique, on aurait pu imaginer que ces pesanteurs auraient disparu. Il n’en n’est rien ! Il y a toujours des personnes pour prendre le relais dans leurs écrits et leurs discours que plus rien ne saurait justifier aujourd’hui.
Ne serait-il pas temps d’en finir avec ces blocages, d’en revenir à la réalité de ce qui s’est réellement passé, sans arrière-pensées !
C’est ce que nous essayons de faire avec la création de l’association MRJ-MOI, au 14, rue de Paradis à Paris, lieu historique s’il en fut, qui a abrité depuis la Libération de nombreuses organisations et associations juives issues de l’immigration yiddish, en particulier l’UJRE qui y siège encore aujourd’hui et les descendants de la CCE, Commission Centrale de l’Enfance créée par l’UJRE , aujourd’hui AACCE, Association des Amis de la CCE.
Cette nouvelle association a l’ambition de créer un espace de mémoire ouvert et éducatif dans les locaux du 14 de la rue de Paradis, afin de perpétuer la mémoire et les activités de ces juifs qui ont agi, lutté et pris des risques inouïs pendant les années noires. Elle bénéficie pour ce faire de l’appui de la municipalité de Paris et son maire, Bertrand Delanoë, et du Musée de la Résistance Nationale de Champigny.

Max Weinstein
Ancien résistant de l’UJJ zone sud / Vice-président de M.O.I.-M.R.J.

 

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